Fin novembre 2024, la Première ministre de la RDC a conduit une mission d’évaluation de l’efficacité de l’état de siège dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri. Cette initiative, qui s’est traduite par des consultations impliquant divers acteurs — députés provinciaux, chefs coutumiers, membres de la société civile et la cheffe de la MONUSCO — est intervenue dans un contexte de critiques croissantes envers les résultats mitigés de cette mesure exceptionnelle. Cette démarche semble également s’inscrire dans une dynamique politique plus large: celle d’une possible révision constitutionnelle. Or, selon les textes en vigueur, une révision constitutionnelle est incompatible avec un état de siège. Ainsi, cette visite a alimenté des spéculations sur l’objectif de la mission, certains y voyant une tentative de lever cet obstacle institutionnel pour débloquer des processus nationaux. Néanmoins, le gouvernement a fermement nié tout lien entre ces consultations et une éventuelle révision constitutionnelle. Ces évolutions posent la question de la requalification de l’état de siège, qui pourrait être envisagée pour la deuxième fois. Une telle décision aurait des implications sur les plans de la gouvernance locale et de l’aide humanitaire. 

 

Historique de l’état de siège : objectifs initiaux, résultats et défis

L’état de siège, instauré le 6 mai 2021, est un cadre exceptionnel de gouvernance prévu dans la constitution pour répondre aux menaces pesant sur l’intégrité du territoire ou l’indépendance nationale. Adopté dans un contexte d’aggravation des violences perpétrées par des groupes armés dans le Nord-Kivu et l’Ituri, son objectif était de neutraliser ces groupes, protéger les populations civiles et permettre le retour des déplacés internes. Dans ce cadre, des changements structurels ont été introduits, notamment la substitution des autorités civiles par des militaires et policiers (gouverneurs, administrateurs, bourgmestres, etc.), un renforcement des opérations militaires et la mise en place de mesures restrictives telles que des couvre-feux et la suspension des activités des assemblées provinciales.

Cependant, après plus de trois ans après d’application au Nord Kivu et en Ituri et de nombreuses prorogations, les résultats demeurent mitigés. Le M23, les ADF, et d’autres groupes armés continuent de représenter des menaces considérables, et les violences contre les civils se sont multipliées, comme documenté notamment par Amnesty International. Du point de vue humanitaire, la situation reste alarmante, avec plus de 7,3 millions le nombre de déplacés internes en RDC, conséquence directe des conflits persistants.

La gestion administrative de l’état de siège a également été entachée par allégations de corruption, d’affairisme et des abus de pouvoir, ce qui a accentué le mécontentement populaire. Face à ces critiques et après des consultations avec des acteurs civils et politiques, une première requalification de l’état de siège a été faite en octobre 2023, accompagnée de plusieurs ajustements : le couvre-feu a été levé, la libre circulation des biens et des personnes a été rétablie, et les restrictions sur les manifestations pacifiques ont été assouplies.Ces mesures, bien que significatives, n’ont pas suffi à apaiser les contestations, notamment parce que les gouverneurs militaires restent en fonction, consolidant l’idée d’une gouvernance militarisée.

Vers une seconde requalification : scénarios et implications

Les conclusions de la mission de la Première ministre n’ont pas encore été officiellement communiquées. Toutefois, deux scénarios principaux se dégagent pour l’évolution de l’état de siège : 

  1. Transition progressive vers une administration civile: Ce scénario impliquerait le maintien temporaire d’un gouverneur militaire tout en levant certaines restrictions, comme la réactivation des assemblées provinciales et l’instauration d’un gouvernement provincial civil. 
  2. Retour immédiat aux structures civiles : Cette option nécessiterait de réformes profondes dans les secteurs sécuritaire et judiciaire, avec pour objectif d’assurer une transition ordonnée et stable.

 Conséquences sur la gouvernance locale et l’aide humanitaire

Gouvernance locale. Le retour aux structures civiles pourrait exacerber les tensions communautaires dans certaines régions. Au Nord-Kivu, par exemple, des accusations de domination d’une communauté sur les instances provinciales sont fréquentes de sorte que de nombreux acteurs plaident pour une gouvernance rotative des communautés pour apaiser ces tensions. Par ailleurs, la coexistence entre les autorités civiles et structures militaires pourrait engendrer des conflits de compétence, notamment dans la coordination des efforts de sécurité.

Sécurité et impact humanitaire. Le retrait des fonctions administratives aux militaires et policiers pourrait avoir des effets négatifs, notamment une recrudescence de l’insécurité. Une diminution de l’autorité militaire pourrait en effet conduire à des relâchements ou des désordres intentionnels pour fragiliser les autorités civiles, favorisant ainsi la criminalité urbaine et l’activisme des groupes armés. Des groupes des locaux, actuellement soutenus de manière tacite, pourraient exploiter cette situation pour se repositionner dans des zones et intensifier leur activisme de prédation économique. Cela risquerait alors d’aggraver les déplacements de populations et les contraintes d’accès dans nombreux territoires.  

 Accès humanitaire. Le retour à un gouvernement civil impactera également les ONG en changeant les interlocuteurs de l’administration. Depuis la montée en puissance de la réponse humanitaire en 2021, les ONG ont eu à traiter dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu uniquement avec la gouvernance administrative de l’état de siège et il faudra sûrement compter des retards dans la mise en place des programmes avec le retour à une gouvernance civile, surtout dans le cas du scénario d’un retour immédiat et sans transition.