Cérémonie officielle de passation de commandement entre les Chefs d’État-major sortant et entrant de l’armée congolaise, au camp militaire Lieutenant-colonel. Photo : Compte X de @saymondekalala, 6 janvier 2025

En décembre dernier, le processus de paix de Luanda a marqué un tournant après l’annulation des discussions tripartites prévues entre les présidents João Lourenço (Angola), Paul Kagame (Rwanda) et Félix Tshisekedi (RDC).[1] Le refus du Rwanda d’y participer a illustré une impasse majeure, éloignant davantage la perspective d’un accord de cessation durable des hostilités dans le cadre de la crise du M23.[2],[3] Le Rwanda exige des négociations directes entre le M23 et la RDC, une approche que Kinshasa rejette fermement.[4] Face à l’échec diplomatique et aux difficultés des Forces armées de la RDC (FARDC) à neutraliser des groupes armés assez organisés, Kinshasa a entrepris une réorganisation de son armée. Ce remaniement soulève des questions sur les priorités de la RDC et les implications pour la dynamique des crises de l’Est, spécialement celle du M23.

 

 

 

Contexte du sommet de Luanda

Le processus de Luanda, piloté par l’Angola, vise à désamorcer les tensions entre le Rwanda et la RDC et à restaurer la paix dans l’est de la RDC, perturbé par le M23, accusé d’être soutenu par Kigali. Depuis le premier accord de cessation des hostilités lors d’une première réunion tenue en juillet 2022 entre les parties [5], plusieurs rencontres ont eu lieu pour consolider les engagements pris.[6],[7] Dans ce cadre, quatre cessez-le-feu ont été signés mais n’ont que rarement été respectés sur le terrain par les différentes parties.[8],[9],[10],[11],[12],[13] L’intransigeance de la RDC pour négocier avec le Rwanda et non avec le M23 comme le Rwanda l’exige ainsi que la stratégie de démantèlement des FDLR restent des sujets de désaccord fondamental qui compromettent l’avancée de ce processus de paix.[14]

Changement de commandement au sein des FARDC

En décembre 2024, Kinshasa a procédé à une refonte du commandement militaire au sein des FARDC. Cette réorganisation s’est traduite par le remplacement de hauts gradés jugés inefficaces et la simplification de la chaîne de commandement. L’objectif principal était de garantir une meilleure réactivité des forces armées, une coordination renforcée entre les différentes zones de défense, ainsi qu’une optimisation des ressources humaines et logistiques.[15] Ces efforts devront toutefois se heurter à des problèmes structurels persistants, notamment la mauvaise rémunération des soldats, qui affectent leur moral et engagement sur le terrain, ainsi qu‘une corruption rampante qui affaiblit l’allocation des ressources.[16] Par ailleurs, l’État a de plus en plus recours à des sociétés de sécurité privée pour pallier les lacunes opérationnelles des FARDC, un choix critiqué pour son coût élevé et son efficacité limitée.[17] Parallèlement, la participation au combat par des Volontaires pour la Défense de la Patrie (VDP) aux côtés des FARDC soulève des questions sur la crédibilité de l’armée, tout en complexifiant la chaîne de commandement. Cette situation accroît également les risques d’impunité et entretient un flou sur les responsabilités en lien avec des abus commis par ces éléments.

Une nomination emblématique a été celle du lieutenant-général Masunzu à la tête de la troisième zone de défense, une région englobant des provinces instables du Nord-Kivu, l’Ituri et le Sud-Kivu. Cette décision revêt deux dimensions stratégiques majeures. Du point de vue politique, le choix de ce haut officier, issu de la communauté Banyamulenge, témoigne d’une volonté de désamorcer les tensions ethniques dans une région marquée par de vives rivalités communautaires.[18] Sa nomination répond à des accusations récurrentes de marginalisation de cette communauté, souvent exploitées par le M23 pour se présenter comme un protecteur des populations rwandophones qui seraient persécutées par les FARDC.[19] Du point de vue militaire, survenue juste après l’échec des pourparlers de Luanda, cette réorganisation de l’armée, et en particulier la promotion du lieutenant-général Masunzu connu pour être un combattant expérimenté, peut être interprétée comme un signal que la RDC se prépare pour l’éventualité d’une solution militaire plutôt que diplomatique, ces changements intervenant dans un contexte d’offensives multiples du M23, contrôlant désormais de nouvelles localités dans le Masisi et Lubero.

Perspectives de la dynamique de la crise M23

Dans ce contexte, l’évolution la plus probable se décline en deux volets suivants.

  • Gains territoriaux par le M23 pour amener la RDC aux négociations. Dans ce scénario, le M23 consolide ses positions dans des zones stratégiques, notamment le chef-lieu du territoire de Masisi qui a été récemment au centre de combats, et poursuit son expansion vers d’autres localités clés comme le chef-lieu du territoire de Lubero.[20],[21] Chaque localité contrôlée devient une source supplémentaire de pression sur Kinshasa pour forcer des négociations directes, renforce la position du M23 dans les pourparlers éventuels et accroît son emprise sur les ressources locales, essentielles pour financer ses opérations. L’escalade militaire du M23 exacerberait alors la crise humanitaire dans l’est de la RDC, avec des déplacements massifs de populations et une déstabilisation accrue des zones déjà vulnérables.
  • Reconquête par les FARDC des territoires pour affaiblir le M23 et le Rwanda en cas de négociation. Dans ce scenario, le remaniement récent au sein de l’armée permet aux FARDC d’inverser la dynamique imposée par le M23. Grâce à l’appui logistique de la MONUSCO dont le mandat a été récemment renouvelé[22], les FARDC renforcent leur présence dans les zones sous tension (Masisi, Rutshuru et Lubero) ; mènent des offensives ciblées pour reprendre les localités stratégiques occupées par le M23 et se placent en position de force dans le cas des négociations. Ce scénario pourrait donc ralentir l’avancée du M23, mais il implique l’intensification des combats, qui aggraverait également la situation humanitaire des populations civiles et rendrait la recherche d’une solution politique encore plus difficile.

 

[1] RFI, Conflit dans l’est de la RDC: malgré des avancées, le processus de paix de Luanda en question, décembre 2024.
[2] Actualit.cd, Tripartite annulee à Luanda : Kagame absent, sommet reduit un bilateral Tshisekedi-Lourenço, décembre 2024.
[3] MINAFFET, Report du sommet de Luanda en raison de la non-résolution des points critiques, décembre 2024
[4] Le monde: Le sommet de Luanda entre Kagame et Tshisekedi n’était « plus pertinent », estime Kigali, décembre 2024.
[5] VOA Afrique : Réunion tripartite à Luanda: Kinshasa et Kigali parviennent à un accord, juillet 2022.
[6] Guerre du M23, la RDC signe un accord de cessez-le-feu avec le Rwanda | Radio Okapi
[7] Actualite.cd : Processus de Luanda: le rapport des experts en renseignements est attendu d’ici le 15 août notamment sur le plan de neutralisation des FDLR, août 2024
[8] Le monde : Tensions entre la RDC et le Rwanda : un cessez-le-feu décidé à Luanda, selon le médiateur angolais, juillet 2022.
[9] Presidence.cd : Le mini-sommet de Luanda impose au m23/Rwanda un cessez-le-feu et le retrait des zones occupées en RDC, novembre 2022.
[10] RDC : l’armée accuse le M23 de violer le dernier cessez-le-feu
[11] DW : RDC : le cessez-le-feu n’est pas respecté par le M23, mars 2023.
[12] Le monde. Rébellion du M23 : l’Angola annonce un accord de cessez-le-feu entre la République démocratique du Congo et le Rwanda, août 2024.
[13] Okapi : Le M23 gagne du terrain au Nord-Kivu, malgré le cessez-le feu signé à Luanda, novembre 2024.
[14] ISS, Relance du processus de Luanda : vers la paix dans l’est de la RDC ? octobre 2024.
[15] https://b-onetv.cd/reorganisation-strategique-au-sein-des-fardc-des-nominations-cruciales-face-a-lagression-dans-lest-de-la-rdc/
[16] RFI : RDC: le chef d’état-major fustige la corruption au sein de l’armée, avril 2024.
[17] DW : Ces sociétés de sécurité étrangères qui opèrent en RDC, décembre 2024.
[18] https://riftvalley.net/wp-content/uploads/2018/06/RVI-Projet-Usalama-8-Les-Banyamulenge-FR.pdf
[19] TV5 Monde, RDC : Le M23 se positionne comme le bouclier de la communauté tutsi, novembre 2022.
[20] JeuneAfrique : Est de la RDC : le M23 a pris le contrôle de la ville clé de Masisi, janvier 2025.
[21] Radio Okapi. Le Potentiel : « Agression rwandaise, les FARDC récupèrent Masisi-centre », janvier 2025.
[22] ONU : Le Conseil de sécurité proroge d’un an le mandat de la mission de l’ONU en République démocratique du Congo, décembre 2025.